La grande impasse de notre civilisation occidentale est de considérer notre planète comme infinie et le monde immatériel comme fini. C’est une inversion de nos relations au fini et à l’Infini.

Plusieurs ruptures ontologiques
Selon plusieurs penseurs historiens des religions, ou philosophes, notre civilisation moderne occidentale est l’aboutissement de plusieurs ruptures successives qui ont conduit à un désenchantement du monde, via un processus de rationalisation systématiquement croissant [1].
Il y a sept ou huit millénaires, avec la révolution néolithique, l’humanité (exceptée les cultures racines) s’est coupée de son lien intime avec les éléments naturels et notre féminin. Sont arrivées des divinités désincarnées, les dieux, et les religions (polythéistes). C’est l’avènement du patriarcat, avec celui des civilisations.
Il y a un peu plus de deux millénaires, est apparu l’age « axial » [1] et avec lui sont arrivées les religions monothéistes. Nouvelle rupture, cette fois-ci avec notre intuition, remplacée progressivement par la raison logique, et l’instauration d’une séparation radicale entre Dieu et la nature.
Enfin, l’avènement de la modernité, lors de la révolution cartésienne, a intensifié les ruptures précédentes de plusieurs crans et a décrédibilisé peu à peu toute forme de spiritualité, conduisant à une nouvelle rupture, celle entre le divin et nos parts physiques.
Le besoin de réenchanter le monde
Désormais, de plus en plus d’humain.e.s constatent et subissent ce désenchantement et tous les effets secondaires qu’il génère : perte de sens, accroissement des inégalités, dominations, sixième extinction, menace de la survie même de l’humanité… Ces personnes souhaitent réhabiliter ce qui a été rompu dans les étapes décrites ci-dessus : notre relation au vivant, la place de la femme dans notre vivre ensemble, et plus largement, notre part féminine, à chacun.e de nous, notre part intuitive et enfin notre lien à la transcendance, au sacré.
C’est ainsi que naissent ou renaissent toutes sortes de tentatives de réenchantement. Après le romantisme du XIXème siècle, déjà né de ce constat d’assèchement, sont ensuite venus le féminisme, l’écoféminisme, l’écologie profonde, de nombreuses spiritualités (ou mouvements sectaires ou affiliés sectaires), le développement personnel, voire spirituel, etc…Même dans le catholicisme, pourtant affilié à la seconde rupture évoquée plus haut (distinction entre le divin et la nature), un virage fort a été imprimé en 2015 avec l’Encyclique du Pape François, Laudato Si [2], posant les bases d’une véritable écospiritualité.
Des rituels à retrouver ou à réinventer, ensemble
L’écospiritualité propose, dans un élan de réhabilité une forme d’animisme perdu, une tentative de réinventer ensemble des rituels pour honorer collectivement des éléments du vivant (au sens large) qui comptent pour nous au point revêtir de nouveau une valeur sacrée à nos yeux. Par exemple les arbres, les rivières, les montagnes, les animaux, voire la Planète Terre elle-même, qui serait d’ailleurs une entité vivante à part entière selon l’Hypothèse Gaia [3], amenée par les scientifiques Lynn Margulis et James Lovelock. Autre exemple d’entité à considérer avec des égards, Laniakea, le superamas de galaxies qui contient la notre, et qui revêt des allures, à sa manière, d’entité vivante [4].
Ces rituels s’inspirent de rituels anciens issus de cultures racines locales (celtes par exemple avec l’astrologie et le calendrier celtiques). D’autres peuvent s’inspirer de cultures racines plus lointaines (peuples racines d’autres continents, comme les Lakotas, les Aborigènes, les Bushmens, les Kagabas, les Zoulous, etc…). Quelques exemples : les danses du soleil, les huttes de sudation, les quêtes de vision, les plantes de pouvoir, les cérémonies au tambour, etc… Enfin, d’autres rituels s’inspirent de propositions plus récentes qui ont émergé à travers l’écologie profonde et l’écopsychologie, comme par exemple le Conseil de Tous les Etres, ou le Mandala de la Vérité.
Tout ou presque reste à réinventer, à décliner en variantes en fonction des contextes, des cultures, des lieux, des intentions plus spécifiques de chaque situation… Tout reste possible.


Mais pas n’importe comment !
Premier point de vigilance, tout simple : certains rituels peuvent paraître éloignés de nos cultures, et n’ont pas de sens pour nous. Ils n’ont aucune chance de se développer de manière ancrée.
D’autres peuvent être considérés comme sectaires ou comme de l’appropriation culturelle [5]. Toutes les dérives sont potentiellement déjà en cours. Le chemin est truffé d’embuches et, respectivement, la Miviludes [6] tout comme les peuples racines spoliés veillent au grain par rapport à ces risques. Risques réels, bien sûr. Ce n’est pas juste que des personnes en profitent pour devenir des gourous (au mauvais sens du terme) et en profitent pour recréer de nouveaux rapports de domination, soit des esprits, soit des comptes en banque. Il n’est pas juste non plus que des personnes, mal ou même bien intentionnées, commettent un nouvel hold-up des peuples racines, en leur volant ce qu’il leur reste de plus précieux, leur culture.
Un troisième point de vigilance est à signaler. Celui d’une spiritualité new-age. Nous entendons par là une spiritualité superficielle, désincarnée, sans racines, et donc, quelque part, sans âme. Une spiritualité séduisante, faite de couvertures d’albums hyper kitchs, d’électro suave sans surprise, où tout est clinquant et caresse les personnes dans le sens du poil, créant des espaces où la remise en question profonde n’est pas de mise.
Néanmoins, en conscience de ces trois ornières, il existe une voie, sur le fil, qui permet, dans la justesse, de venir au chevet de notre société désenchantée, irrationnellement raisonnée, coupée de tout ce qui compte (les autres, l’amour, les générations futures, le divin, les autres vivants, soi-même…). C’est celle d’une écospiritualité mature, consciente, sans cesse en recherche, capable de se remettre en question, à l’inverse des dogmes, encourageant toute habitude ancrée régénératrice de sens, de lien, d’enchantement, et réactivant notre part intuitive. Une écospiritualité transdisciplinaire, capable d’intégrer les découvertes des derniers 150 ans, en logique, en mécanique quantique, en astrophysique et en biologie dans une ontologie réenchantée, où la poésie, la magie, l’intuition, la transcendance, la contemplation, le sensible, ont une place équivalente à celle que nous pouvons donner à la raison.
Quelques exemples pour s’inspirer ?
Ce matin, en discutant avec un ami à propos de LUCA, notre dernier ancêtre commun – Last Unique Common Ancestor, né il y a environ 4 milliards d’années, selon les dernières publications[7], m’est venu un exemple de nouveau rituel, qui, selon moi, combinerait ces deux manières d’être au monde si spécifiques à notre espèce : l’analytique et l’intuitive. Dans les cours de biologie, de l’école à l’université, l’enseignant.e pourrait proposer un temps de gratitude pour LUCA en début de chaque cours, en rappelant à quel point notre existence tient à un véritable « coup de bol », et en encourageant l’aspect émotionnel que ce fait peut générer : émerveillement, grâce, ferveur…
Ou encore, dans un conseil municipal, on peut imaginer une ouverture de quelques minutes où chaque humain.e présent.e exprimerait sa reconnaissance pour un ou plusieurs êtres vivants de la commune ce jour-là.
Dans de nombreux autres domaines de la société, tout autant de rituels peuvent être développés : au moment de mettre de l’essence dans le réservoir, quand je bois un verre d’eau issu du fleuve qui, à force, me constitue, avant une opération chirurgicale, quand je tue un animal pour le manger (ou que j’ai sous-traité cette besogne à un abattoir), quand je récolte un légume, quand je commence une course d’alpinisme, quand j’entre dans un lac de montagne (à éviter, en vrai !!!), quand je caresse la peau de mon aimée, etc…
Un monde réenchanté !
Imaginez un monde où dans chacun de ces domaines, il y ait des rituels, partagés par plusieurs autres personnes… Des rituels pluriels, inventifs, générateurs de lien et de gratitude, de conscience, de beauté, en évolution permanente, comme le sont les espèces vivantes elles-mêmes, donc non figés dans le dogme…
Fermez les yeux, respirez, sentez comment ça vibre en vous, et laissez émerger vos propres rituels. Qu’est-ce qui vous vient ? Qu’est-ce que vous aimeriez partager autour de vous ? A la communauté des lecteurs des articles d’Entre les Arbres ?
Ecrivez-nous et racontez-nous vos rituels, et comment ils ont réenchanté votre vie !
Références :
1 – Frédéric Lenoir – L’Odyssée du sacré
3 – James Lovelock (et à partir des travaux de Lynn Margulis) – La Terre est un être vivant – l’hypothèse GAÏA
4 – Homo biospheris, rencontre entre Jean-Pierre Goux et Hélène Courtois – https://www.youtube.com/watch?v=zdJYKFNaRmA (18’30)
5 – https://www.nonfiction.fr/article-9659-l-appropriation-culturelle-entre-recel-et-emancipation.htm
6 – Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte Contre les Dérives Sectaires https://www.miviludes.interieur.gouv.fr/
Pour aller plus loin – et vivre ces rituels !
Une playlist Spotify
Une quarantaine de morceaux pour accompagner vos rituels d’écospiritualité, que ce soit pour célébrer ou plus durement pour accompagner la traversée d’émotions douloureuses.
La conclusion audio de l'Odyssée du sacré
Frédéric Lenoir dit avec ses meilleurs mots ce que cet article a tenté d’exprimer de manière plus amatrice et avec plus de parti-pris. Nous recommandons vivement !
(Plage 44)
Participer à une proposition publique du Lichen
Le Lichen (Laboratoire des Interdépendances Concernant les Humains Et les Non-humains) expérimente des méthodes consistant à (a)ménager nos espaces de vie en tenant compte des prérogatives, des intérêts propres, des vivants autres qu’humains. A la croisée des chemins entre sciences politique, écologie profonde, intelligence collective, chamanisme, etc… cette approche transdisciplinaire défriche des méthodes et déchiffre ce que les autres qu’humains diraient s’ils étaient consultés, pour toute décision concernant nos choix de vie collectifs.
Il organise chaque année des évènements ouverts au publics comme l’Assemblée de la Forêt et publie une revue cyclique faisant état de ses modestes avancées.
