Clara Arnaud
Et vous passerez comme des vents fous
@Babel, 2025
« On n’explique pas avec les mots à quel point la montagne peut suffire à un homme ». Clara Arnaud
Et pourtant si !
L’autrice parvient à déjouer la fatalité de sa magnifique citation, qui, par ailleurs, semble inaltérable. Elle force l’admiration dans cet ouvrage où tout est au service du propos selon lequel nos interdépendances sont aussi complexes que rudes, et magnifiques.
Dans ce roman, se tisse un écheveau de liens entre différents personnages, sur deux époques parallèles. Un montreur d’ours d’une vallée reculée des Pyrénnées et son ourse, au tournant du début du XXème siècle, échos passés d’un présent rattrapé de nouveau par les ours, récemment réintroduits, par la recherche scientifique, par la mondialisation qui impose des troupeaux de brebis déraisonnables et par la nécessité d’inventer urgemment un nouveau rapport au vivant. Bergers, ours, chiens de bergers, chercheuses, chiens de protection, brebis, gendarmes, aide-bergers, herbe, terre, chasseurs, rocs, ciels, gens de la vallée, gypaêtes, amours lointaines, mentors, juments, canicule, braconniers, orage, sommets… chaque partie forme un tout, chaque élément est lié au reste, pour ou contre son gré, pour le meilleur et pour le pire.
Dans cette histoire, qui semble crédible, les protagonistes ne théorisent pas leur rapport au vivant, ou alors rarement, dans une éventuelle discussion tardive à l’estive. Ils le vivent, dans toute leur chair. C’est une des forces de ce livre. Et si en tant que lecteur, j’ai senti souvent quel parti l’autrice prenait, évidemment (et comment pourrait-il en être autrement !?), j’ai surtout apprécié la nuance dans les personnages, même les plus radicaux d’un côté ou de l’autre concernant l’accueil à faire à l’ours. La nuance dans l’histoire, dans les dialogues, dans la complexité de l’échevaux des relations. Oui, ce berger est soulagé, ce jour où des humains non identifiés commettent l’irréparable. Et oui, ce même berger est aussi bouleversé, à tel point qu’il ira rendre hommage à celle qui pourtant pourrissait toutes ses nuits d’été à en cauchemarder. Il vit dans ca chair ce que c’est que cohabiter.
Personnages très attachants, histoire bien ficelée, propos profond, style travaillé… Ce livre vous embarquera au coeur des odeurs de brebis, de sueur et d’alcool, vous fera vivre des affuts de plusieurs jours, des scènes de dressage d’un autre temps, des séances de pistage halletantes, des estives où la splendeur quasi divine de la montagne le dispute la seconde d’après à l’enfer sur terre. Un livre qui vous téléporte dans son histoire par tous les pores de la peau.
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