L’animisme ou le renouveau du politique

Dans cet article, nous proposons de rendre réel le monde incroyable que Pignocchi rend désirable dans ses BD. Il s’agit ni plus ni moins de réhabiliter l’animisme au secours de la politique car celle-ci n’est plus du tout au service de la vie ni plus du tout motivante. Dit autrement, la proposition est de faire converger écologie politique et écologie profonde.

 

“La politique ? Ca ne marche plus  !”

Depuis plusieurs décennies, nous constatons collectivement que le domaine du politique ne fonctionne plus. Ce dysfonctionnement se traduit par un désinvestissement. Les conséquences de cette désaffection sont une augmentation de la fracture entre celleux qui continuent à faire de la politique, souvent elleux-mêmes manipulé.e.s par les lobbies de la finance mondialisée, et… tous les autres vivants des territoires, humain.e.s et non-humains. L’effondrement démocratique actuel est une manfestation de l’échec du politique, au sens noble du terme, au sens de “la vie de la cité”. Plus on grimpe dans les échelons territoriaux, jusqu’à l’Europe, plus les décideurs.décideuses ont des risques d’être totalement déconnecté.e.s de la Vie.

Dans les territoires, cette impasse du politique se traduit concrètement par des politiques d’aménagement obsolètes, sans imagination, et pire, sans nouvel imaginaire collectif. Même dans les plans climat et autres documents de planification territoriale, les autres vivants sont au mieux considérés comme des ressources pouvant offrir des “services écosystémiques”. Non mais allo ?Ne peuvent-ils à nouveau être considérés pour eux-mêmes ?

Ces politiques sont séparées du vivant et ne visent qu’à une chose : la satisfaction – à très court terme seulement – de quelques uns des besoins humains fondamentaux de quelques uns des humains : confort, facilité, bien être, sécurité (sentiment de), liberté (sentiment de). Les statégies sont toujours les mêmes : dominer les autres espèces (ou les autres pays), construire toujours plus de routes et de lotissements pour des maisons individuelles et des piscines, des supermarchés, des rond-points, des stades, des téléphériques et des centrales.

 

Une séparation qui ne date pas d’hier

Mais que s’est-il passé ? Où est passée notre conscience d’interdépendance avec tous les vivants ? Conscience que nous avions pourtant nous aussi, comme nous le rappellent d’ailleurs patiemment les peuples racines. Dernier exemple en date : les habitants des Iles Tikopia, en Océanie, qui nous disent : “Vous êtes étranges, vous les Blancs, de croire que la Terre ne parle qu’à nous” (source: Yggdrazil n°10).

Nous avons depuis longtemps perdu ce lien au reste du vivant. Les racines remontent sans doute au néolythique mais nous ne proposons pas, ici, de remonter jusque là. Ce n’est pas l’objet de cet article de fouiller aussi loin dans les profondeurs de l’Histoire. Ce n’est pas la peine.

Il suffit de toute façon de regarder la dernière tranche, qui est appelée par le philosophe et partenaire d’Entre les Arbres Olivier Frérot l’Ere de la rationalité. Elle a commencé il y a presque 500 ans et a consisté à proposer un magnifique grand récit, celui de la raison pure et de sa fille, la technologie toute puissante, parfois aussi appelé le progrès qui allait nous libérer. L’énergie collective absolument phénoménale qui fut engendrée par ce grand récit nous enseigne déjà une chose : lorsqu’un grand récit cristallise, qu’il devient une véritable appropriation collective, beaucoup de vie se déploie. Il est cependant et désormais urgent d’en trouver un autre car celui-là a été usé jusqu’à la corde, surtout depuis que la technologie a plutôt massivement servi à détruire la vie (cf. les gaz moutarde à Ypres en 1915, où pour la première fois,on s’est rendus comptes que quelque-chose clochait vraiment dans notre Foi collective en la toute puissance de la technologie).

Durant cette tranche de 500 ans qui a conduit à l’Anthropocène, la technologie nous a peu à peu déconnectés du vivant et de notre conscience de nos interdépendances. Cette déconnexion nous a conduit dans une impasse. L’effondrement de notre civilisation (la modernité occidentale) est la résultante et le bouquet final de ce grand récit du progrès. Et avec cet effondrement, celui de la biodiversité et de l’équilibre précaire des grands cycles géophysiques, à commencer par celui du carbone. Ces effondrements peuvent conduire à ceux d’une grande partie des formes de vie multicellulaires. Dont les vertébrés, dont les mammifères, dont nous, Homo sapiens.

Nous continuons pourtant par inertie à considérer nos espaces de vie (la cité au sens large) avec la manière d’être au monde de la modernité occidentale, donc de cette technophilie séparatrice et destructrice (désormais majoritairement) du vivant. D’où des espaces dévitalisés, où que s’étendent les tentacules de cette modernité. Des espaces qui ne tiennent pas vraiment compte des vivants qui les habitent ou les habiteront, que ce soient la majorité des humains, les générations futures, ou les autres qu’humains.

La politique n’est plus motivante, elle tourne en circuit fermé, elle n’est plus au service de la vie. Elle n’est plus vivante. Il est urgent de lui proposer une sortie de secours !

 

Pourquoi sauver la politique ?

La politique est au débart une noble cause puisqu’elle vise à proposer et co-construire un monde plus adapté aux besoins des habitants de la “cité”. Elle est souvent mal perçue à cause de ce qu’elle est devenue : une machine à entretenir un système aussi mortifère que moribond, anthropocentré, voire centré uniquement sur les mâles riches, blancs, hétéros, valides, de plus de 60 ans, crispés sur le monde d’hier qui s’en va. Elle a absolument besoin de renouveau car elle reste essentielle. Sans elle, la cité ne peut pas être pensée, gérée, adaptée aux besoins de ses habitant.e.s, au service de la vie.

 

Comment sauver la politique ?

La politique doit être sauvée en sauvant notre rapport au monde car la politique est la traduction dans la matière de notre rapport au monde. Les choix que nous faisons collectivement, ou à tout le moins au nom du collectif, impactent le monde et traduisent comment nous y projetons notre place, en tant qu’individu, groupe social, génération, société et espèce vivante. En réalité, politique et spiritualité ont toujous été liées. Et c’est justement parce que la spiritualité a été vidée de sa substance durant l’ère de la rationalité, où la spiritualité était devenue une idéologie du sur-rationel, un rejet du spirituel “habituel”, que nous avons mené une politique qui a détruit le monde. Même là, la politique était la conséquence d’une spiritualité (lorsque l’intention est le rejet du spirituel, c’est encore de la spiritualité car c’est encore un rapport au monde).

Il est donc urgent de reprendre conscience de cette indisociabilité entre politique et spiritualité pour que nos actions dans le monde soient cohérentes avec ce que nous voulons voir émerger, collectivement, dans le monde.

Et il est urgent de construite une spiritualité qui remette la vie au centre pour que la politique qui va repenser et recréer le monde de demain soit une politique au service de tous ses habitants, pas uniquement les humains, et parmi eux, pas uniquement les nantis.

 

Une réinclusion systémique

D’ailleurs, comment vouloir inclure tous les humains si on exlut tous les autres vivants ? Nous avons depuis quelques siècles (sans doute quelques millénaires même) un gros problème avec l’inclusion au sein du sous-système “humanité”. Et pour cause, ce sous-système s’est lui-même exlu de l’ensemble du système “biosphère” en se considérant à part. Systémiquement, nous ne pouvons donc pas réussir cette inclusion entre nous si nous ne nous ré-incluons pas dans le reste de l’éco-système. D’ailleurs, les premières expériences du Lichen (Laboratoire des Interdépendances Concernant les Humains Et les Non-humains) démontrent la contraposée : lorsque nous ré-incluons tous les vivants dans notre manière de gérer la cité ensemble, quelque-chose de magique se passe aussi entre humains.

Alors comment remettre la vie et tous les vivants (actuels et à venir) au centre du village ?

 

Une spiritualité à réinventer

La bonne nouvelle c’est que les solutions existent. Elles nous sont tout simplement enseignées par de nombreux peuples premiers, qui ont pour le moment réussi à échapper à ce rapport au monde qui est le notre et que les anthropologues appellent le naturalisme (cf. Philippe Descola). Pour nous, les modernes occidentaux, l’humain est hors de la nature car lui-seul a une âme (quand il en a encore une). Pour tous les autres peuples, ce n’est absolument pas le cas. Trois autres grandes “ontologies” (rapports au monde, cosmogonies) prévalent, et aucune ne voit l’homme comme séparé. Le mot nature n’existe que chez nous. L’une de ces ontologies est l’animisme. Pour les animistes, il y a continuité des âmes et discontinuité des corps, tout le contraire de notre façon de concevoir le monde.

Voici ce que propose le Lichen :

Nous habitons un monde et des espaces abîmés. Pollution, épuisement énergétique, effondrement de la biodiversité, expansion des inégalités sociales, etc. Dans ce contexte émerge une pensée qui insiste sur une sortie de l’anthropocentrisme et de la modernité extractiviste, sur un renouveau des pratiques politiques élargissant la souveraineté jadis capturée par sapiens sapiens vers une diplomatie des vivants, une politique multi-spécifique. L’ensemble de ces théories, souvent largement prospectives, réclament une pratique d’interprétation et de traduction des intentions des mondes autres qu’humains vers les mondes humains. Comment interpréter et traduire dans un monde humain les souffrances, les désirs, les rêves qui émergent de la biosphère ? Comment, à partir de cette écoute et de sa possible traduction, renouveler nos constructions collectives, politiques, juridiques ?

Au-delà de cette proposition du Lichen, encore aussi marginale qu’expérimentale, nous considérons ici qu’une certaine forme d’animisme pourrait permettre de sortir de l’impasse abyssale dans laquelle la modernité occidentale a entrainé l’humanité et une bonne partie du buisson de l’évolution avec elle.

En permaculture, un des principes est que le problème est la solution. Le problème, ce fut la déconnexion du vivant, et le rejet de toute forme de connaissance intuitive au profit d’un dogme scientiste radical et par au-dessus, ne valorisant que le savoir objectivisé et désincarné (depuis le dehors) comme forme de connaissance du monde. La solution réside donc sans doute là: réhabiliter d’autres formes de connaissance, plus intuitives, plus incarnées et faire émerger un grand récit poétisé, sacralisé, où tous les vivants auraient une équité de place.

Une approche animiste du monde peut nous aider à construire collectivement, et sans retomber dans les pièges de la spiritualité dogmatique (cf. religion), un grand récit puissant, porteur d’énergie collective suffisamment importante. Une énergie capable, enfin, de nous remettre en mouvement, de sortir de notre léthargie actuelle, qui ressemble au figement que ressent un lapin devant les phares d’une voiture. Sauf que ces phares-là sont le mirage transhumaniste, une trajectoire à +5°C pour 2100 et une destruction quasi totale des habitats naturels et des espèces vivantes.

Ce grand récit redonnerait de l’élan pour plusieurs raisons.

  • Il permettrait de renouer avec nos frères et soeurs autres qu’humains. Lorsque nous ‘expérimentons avec Entre les Arbres, dans les bains de forêt, ou dans le cadre des explorations du Lichen, cela nous redonne de l’énergie, de la joie, et même du fun. Cette reconnexion nous ouvre le coeur, et ouvrir son coeur est le principal moteur qu’un grand récit peut allumer.
  • Il permettrait à chaque personne de réapprendre, à son rythme, et avec ses propres méthodes (nous insistons sur l’importance qu’aucun dogme ne vienne polluer ce futur grand récit), à entrer en contact avec des non-humains, et à prendre en compte ce qu’ils auraient à lui dire, pour eux, et pour elle. Ces compétences sont fondamentales pour notre équilibre d’Homo sapiens, sinon, il manque le sapiens. Sapiens est à prendre au sens “qui a la connaissance”, et non pas “savant”. La connaissance comprend celle des autres qu’humains et des écosystèmes, de manière intuitive, depuis le dedans.
  • Il permettrait de mienx prendre en compte le point de vue des non-humains (ou des futurs humains) dans nos choix de ménagement du territoire, depuis le choix de la couleur de la peinture de nos volets jusqu’à celui de nos modes de déplacements intercontinentaux ou de gouvernance des biens communs, à commencer par les forêts primaires et les océans. Donc de mieux prendre en compte l’intérêt global de l’écosystème, donc au final, le notre aussi. A plus long terme.

Donner la parole aux mésanges qui viennent crécher au-dessus de nos fenètres, prendre en compte le point de vue des océans en tant qu’entités vivantes, n’est-ce pas une opportunité fascinante ? Une exploration passionnante ? Un enjeu prioritaire de la sortie de l’ornière ? Une invitation plaisante et pleine de promesses à sortir de la crise systémique (et notamment du politique) que nous vivons actuellement ?

Alors on commence quand ?

Qu’est-ce que tu peux faire ?

  • Commence déjà tranquillement, en suivant le projet du Parlement de Loire, en signant l’appel du Rhône ou en soutenant le Lichen (nous allons prochainement lancer un financement participatif).
  • Lis le livre 101 façons de se reconnecter à la nature de Frédérika Van Ingen, que nous plébiscitons (fiche de lecture à venir prochainement) et bien sûr, Se sentir vivant par la sylvothérapie de bibi. Ou encore, les 10 numéros de la revue Yggdrazil. Ou encore “Manières d’Etre Vivant” de Baptiste Morizot.
  • Inscris-toi à un prochain bain de forêt (cf. carte des guides de la fédé de sylvothérapie pour trouver un guide près de chez toi).
  • Vis une spirale du Travail Qui Relie.
  • Propose à tes élus locaux, progressivement, des manières de prendre en compte les non-humains dans leurs conseils municiaux ou communautaires. S’ils ont envie mais ne savent pas comment faire, envoie-les vers le Lichen. Nous avons déjà une valise opérationnelle d’outils à proposer.
  • A chaque fois que tu croises un non-humain, regarde le. Dis-lui “je te vois” (et revois Avatar en passant, tout y est !)
  • Autorise-toi de vivre toutes les émotions, réveille le vivant qui est en toi, ce qui ouvrira autant d’autorisations autour de toi. Même les émotions qui ont mauvaise presse: peur, tristesse, colère, culpabilité, honte, dégoût, désespoir…
  • Dans ton entreprise ou dans ton équipe, laisse une chaise vide dans vos réunions, et dis à chaque participant.e qu’il.elle peut venir s’y assoir à n’importe quel moment pour parler au nom de l’entreprise, de l’équipe, ou d’un vivant non-humain. Fais confiance à la puissance de la représentation.
  • A chaque fois que toi, tu dois prendre une décision, sors un moment voir un non-humain et écoute les signes. C’est en réapprenant à être attentif aux omen (aux signes des non-humains), qu’on guérira peu à peu de notre sur-rationalité. Et tu vas voir, c’est encore plus bluffant qu’un tirage de cartes.
  • Relaye ces idées autour de toi, à ta façon à toi.

Merci à toi pour tout ce que tu feras en faveur d’une revitalisation de nos manières de faire territoire ensemble. Tou.te.s ensemble.

A toutes nos relations.

 

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