Entre les Arbres et d’autres passeurs utilisent souvent le mot « connexion ». Alors qu’est-ce qu’être connecté ?
L’état de connexion
Etre connecté à quelqu’un ou à quelque-chose, selon nous, c’est tout simplement être dans une relation consciente à cet être ou cet élément. C’est accepter de prendre le temps de le « voir », dans toute sa réalité, dans toutes ses dimensions. C’est faire le choix de l’accueillir pour ce qu’il est, sans le nier, ou sans le magnifier.
La connexion, c’est l’état dans lequel je suis lorsque je me sens connecté à un être ou un objet. Plus je me sens en lien avec des êtres et des objets, plus je suis connecté et plus mon niveau de connexion augmente.
Un état difficile à maintenir haut aujourd’hui
Je peux être connecté à certains éléments et déconnecté d’autres. C’est ce qui arrive la plupart du temps à chacun et chacune de nous. Nous sommes alors partiellement déconnectés (ou en positif, partiellement connectés).
Et il y a de quoi être partiellement déconnecté ! En effet, dans notre société du confort et du plaisir immédiat, nous subissons au quotidien de multiples assauts de ce qu’Otto Scharmer nomme l’absencing, c’est-à-dire des sollicitations de notre être qui nous coupent de notre présence, de notre conscience. Les causes sont multiples. Nous pouvons citer, pêle-mêle, la frénésie de la consommation, la dictature de l’immédiateté (je veux tout, tout de suite), la toute puissance du faire sur l’être, le haro mis sur tout ce qui a trait à la pause, le déséquilibre entre le yang (prédominant) et le yin (dévalorisé). Plus concrètement, il s’agira de la télévision et des réseaux sociaux (paradoxalement) qui nous abrutissent et nous coupent de la réalité, du shopping, des nouvelles technologies embarquées (dont en pool position le GPS), et d’un élément clé de psychosociologie qui s’appelle la dissonance cognitive. Notre cerveau connait de nombreuses informations en lien avec la souffrance du monde, mais il les met de côté et fait tout pour qu’elles soient oubliées lorsque notre comportement individuel continue à générer, à son échelle, cette souffrance en maintenant ses habitudes. Dans ces moments-là, c’est tout à fait commode de maintenir un taux de connexion bas, pour éviter de se désintégrer purement et simplement par manque criant d’alignement.
Comme les souffrances du monde sont de plus en plus fortes et nombreuses, nous avons de plus en plus intérêt à mettre en place des mécanismes de défense qui nous en protègent. La déconnexion en est le plus efficace. Mais malheureusement, en nous déconnectant un peu plus encore, nous amplifions encore un peu plus ces souffrances.
Donc plus le monde souffre, plus il a besoin que nous retrouvions un état de connexion suffisant, et plus, au contraire, nous augmentons notre niveau de déconnexion – pour ne pas souffrir avec lui.
Le seuil fatidique de la déconnexion chronique
Plus mon niveau de connexion est bas, plus je suis déconnecté.
Arrive un moment, où je suis tellement déconnecté que je ne suis plus conscient de mon niveau de déconnexion. Et donc je peux me sentir connecté, ou plus rigoureusement, je peux ne pas me sentir déconnecté, alors qu’en réalité, j’ai très peu de connexions avec d’autres êtres ou d’autres éléments, à commencer par moi-même. Je ne suis même plus conscient de ce qu’il se passe en moi, pour moi. Je deviens tellement déconnecté que je ne le sais plus. L’état de déconnexion passe dans l’ombre. Je ne le vois plus. En ce sens, nous pouvons appeler cet état de déconnexion la déconnexion chronique.
Les trois fractures
Otto Scharmer parle des trois fractures : notre coupure par rapport aux autres (la fracture sociale), notre coupure par rapport à tous les autres êtres vivants (la fracture écologique) et notre coupure par rapport à nous-mêmes (la fracture spirituelle). Selon lui, ces trois fractures sont, d’une part, l’expression d’une seule et même fracture (déclinée en diverses manifestations), et d’autre part la cause principale de l’état de crise majeure et totale dans lequel se trouve notre monde (notre civilisation et le substrat spatial qui l’abrite, la Terre).
Plus je m’inscris moi-même dans une de ces fractures, plus j’ai des chances d’augmenter ensuite ma propre coupure sur les deux autres axes. Par exemple, si je me coupe des autres, je risque aussi de me couper de moi-même et de la biosphère dans son ensemble. Toutes les combinaisons sont valables.
Lorsque j’atteins la déconnexion chronique, je ne suis plus conscient de participer à ces fractures car je suis, entre autres, déconnecté de mes ressentis et des conséquences de mes actes. Je crois alors qu’il n’y a aucun rapport entre mon comportement, les autres autour de moi et l’état du monde.
Les étapes de la reconnexion
Je peux néanmoins augmenter mon niveau de connexion suffisamment pour repasser le seuil de la déconnexion chronique, et réaliser à quel point je suis déconnecté, afin de continuer ensuite à l’augmenter pour petit à petit me reconnecter de manière toujours plus large.
La reconnexion passe donc par plusieurs étapes, en fonction d’où je pars sur ce chemin.
C’est un chemin qui va devoir faire appel à la médiation, comme dans tout système où la connexion est coupée. L’une des parties au moins refuse au départ de dialoguer avec l’autre. Ou elle ne sait plus comment faire. Même dans le cas où la coupure est avant tout avec soi-même.
Les étapes vont être les suivantes :
0) Coupure totale : j’ai un haut besoin de médiation mais pas de demande, car le déni est total. Tout va bien, je ne ressens pas la déconnexion.
1) Confusion : quelque-chose ne va pas, mais je ne vois pas ce que c’est.
2) Prise de conscience : je me rends compte que je suis déconnecté (j’ai repassé le seuil de déconnexion chronique) et je peux donc ressentir un besoin de médiation.
3) Passage à l’acte : j’entreprends ma première action de médiation : développement personnel, psychothérapie, jardinage, sylvothérapie, shinrin-yoku, éco-psychologie, etc…
4) Médiation : je commence à ressentir les bienfaits de cette médiation et à voir les conséquences de mon état de connexion à moi, aux autres et à la biosphère dans sa globalité
5) Réconciliation : je me sens connecté. Je passe le second seuil, le seuil de la reconnexion.
6) Maintien : je suis conscient que cet état de connexion s’entretien, et donc je maintien une démarche de médiation régulière pour conserver cet état de connexion.
Le concept de « nature »
Parler de « nature » contribue paradoxalement à renforcer la déconnexion. Le concept de « nature », inventé à la renaissance par les modernes, n’a pas cinq siècles. Il n’existe dans aucune autre culture humaine. En donnant naissance à ce mot, ils ont implicitement créé l’idée de la séparation. Il y aurait d’un côté une nature, vierge de toute humanité, sauvage et incontrôlable, et d’un autre côté, bien séparé, les humains, qui la maîtrisent. Les ethnologues, dont Philippe Descola, ont démontré que dans toutes les représentations du monde qu’utilisent les cultures humaines depuis des milliers d’années, on ne trouvait nulle part ailleurs cette dualité. Le modernisme a donc généré une fracture primordiale qu’il est temps de refermer et de guérir. Les mots ont le pouvoir immense de créer des « images », anagramme de « magies ». La magie des mots est telle qu’en disant « nature », nous créons une barrière. C’est la raison pour laquelle nous n’utiliserons plus le terme de « nature » dans la suite de ce texte, mais une autre magie, avec les mots : « biosphère » (qui nous inclue), « vivants » (idem), et dans certains cas, le terme devenu creux d’ « environnement ». Il est devenu creux car il a été dévoyé depuis des décennies par le système thermo industriel, mais à la base, son éthymologie est d’ordre fondamental : c’est ce qui nous entoure. Etre connectés, cela passe en grande partie par nous connecter à ce qui nous entoure, donc à notre « environnement ». Cette notion inclue tous les êtres, qu’ils soient humains, vivants ou non vivant, situés « autour » de nous, avec cette notion floue du mot « autour ».
Maintenant que la notion de déconnexion est clarifiée, dans les prochains mois, nous décortiquerons progressivement les différentes étapes de la reconnexion et verrons comment les bains de forêt peuvent profondément y contribuer, sur les trois dimensions (soi, les autres, la biosphère).