La fraîcheur

« Chaque centimètre cubique s’affaire à convertir sol et soleil en milliers d’agents volatils que les chimistes n’auront peut-être jamais l’occasion d’identifier. »

l’Arbre Monde, Richard Powers

Grâce aux arbres, la température diminue sensiblement dans nos villes. Elle peut être réduite d’au moins 5 degrés, parfois plus.

En forêt, c’est encore plus fort. La différence entre la température en centre urbain et sous le couvert forestier en période caniculaire dépasse les 10 degrés.

D’où cela vient-il ?

De l’évapotranspiration, principalement. Il s’agit de ce phénomène de circulation de l’eau du sol vers le ciel provoquée par le pompage des arbres. Depuis leurs racines, ils récupèrent l’eau que les champignons ont déjà eux-même réussi à ne pas laisser s’échapper dans le sol. Par la relation symbiotique qu’ils entretiennent avec eux (les fameuses mycorhizes), ils récupèrent ainsi mille fois ce que leurs racines seules auraient pu puiser dans le sol. Et comme les racines vont profondément dans le sol (souvent plus profondément que la hauteur visible de l’arbre, parfois même jusqu’à sept fois sa hauteur visible), elles peuvent drainer un sol apparemment totalement sec en surface et y trouver malgré tout encore beaucoup d’eau, dans ses profondeurs.

L’eau devient sève brute, et monte jusqu’aux feuilles, surtout celles qui sont en plein soleil, en pleine chaleur, fortement sollicitées. Elles se dessechent quand elles ne sont plus assez alimentées. Un hêtre mature, de bonne facture (40 m de hauteur, tronc de 1 m de diamètre) évapotranspire plus de 600 litres par jours ! Il en faut de l’eau dans le sol, il en faut des mycorhizes et des racines !

L’eau qui s’évapotranspire des feuilles est à l’état de vapeur. Elle monte au-dessus de la forêt. Et c’est une loi thermodynamique que de créer du froid par le changement d’état de l’eau liquide à l’eau sous forme de vapeur. C’est par ce phénomène d’évapotranspiration, principalement, que la fraîcheur se crée.

Mais ce n’est pas tout, la forêt offre tout simplement beaucoup d’ombre, ce qui amène aussi beaucoup de fraîcheur. Qui n’a pas cheminé en ville en pleine chaleur en optimisant son parcours pour être le plus possible à l’ombre des arbres, fussent-ils de “vulgaires platanes” ?

La forêt a encore une autre vertu: elle retient l’eau sous toutes ses formes. Les végétaux, les champignons, les algues, les mousses et les lichens ont développé un art consommé de la captation de l’eau. Ils parviennent à récupérer la moindre once d’humidité en plein désert. Cette eau est parfois réinjectée dans l’écosystème sous forme de suintement, même la nuit, ajoutant encore un peu plus de fraîcheur.

La forêt parvient même à générer de la pluie, lorsqu’elle a la superficie suffisante. Cela a été démontré en Amazonie, par exemple (1). Les arbres envoient tous ensemble suffisamment de microparticules et de vapeur d’eau dans l’atmosphère pour que la combinaison de ces deux éléments créent une réaction physicochimique qui génère le phénomène de précipitation (la vapeur d’eau se transforme en gouttes de pluies).

Il y a même des “rivières aériennes”, sortes de grands courants qui traversent les forêts-continents (ou ce qu’il en reste) et qui génèrent de la pluie qui génère de la forêt, qui regénère de la pluie un peu plus en aval, etc… Couper ces chaines de causes à effet peut avoir des conséquences dramatiques pour la forêt, qui à la fois ne parvient plus à générer de la pluie, et qui n’est plus alimentée par les pluies produites par les forêts en amont.

En cette période de l’histoire du vivant où le climat change à une vitesse a priori jamais égalée (augmentation de plusieurs degrés en quelques siècles alors qu’habituellement c’est en quelques dizaines de milliers d’années), la fraîcheur va devenir la richesse numéro 1, avant le pétrole (évidemment), et au même niveau que l’eau.

La forêt est la plus à même de nous garantir cette fraîcheur.

Honorons la pour cet immense cadeau qu’elle nous offre et arrêtons de la couper pour nous chauffer. C’est tellement absurde ! Elle nous rafraichit bien mieux en étant vivante qu’elle ne nous chauffe en étant coupée sous forme de bois.

 

[1] : Francis Hallé, Il était une forêt

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