Manières d’être vivant

Baptiste Morizot

Manières d’être vivant

Postface d’Alain Damasio

@Acte Sud

Au lancement d’Entre les Arbres, avant même de découvrir le mot-concept de sylvothérapie, nous écrivions ceci :

L’écosystème forestier en général, et les arbres en particulier, ont développé au cours de l’évolution des caractéristiques fascinantes, des spécificités, des façons d’ « être au monde » qui peuvent nous inspirer et nous aider à nous montrer qui nous sommes par ce que nous voyons en eux…

C’était clairement, et plus que tout autre, ce concept de “façons d’être au monde” qui a habité le projet Entre les Arbres.

Alors nous devons bien une tribune à cet inspirant ouvrage de Morizot. C’est bien simple, tout est tellement pertinent et inspirant à chaque page qu’il serait plus simple de surligner les seuls passages sans saveur, pour économiser de l’encre ou des mines de crayon ! Nous nous retrouvons avec un livre tout annoté !

La revue Yggdrasil a dédié elle aussi une pleine page à cet ouvrage dans son dernier numéro (#8), tant il est majeur, article (et revue) que nous vous recommandons sans réserve.

Alors par où commencer ?

Baptiste Morizot nous emmène dans deux univers à la fois à travers le voyage que constitue la lecture de ce livre. Et ces univers sont superposés. Celui du bas, c’est celui de l’incarnation. Des récits de pistage de loups dans le sud des Hauts Plateaux du Vercors en hiver, avec des skis d’approche (petits skis de rando), le souffle coupé par l’effort prolongé, la sueur, les crottes, les empreintes, les hurlements des loups, les hurlements de Morizot en retour, qui a appris les rudiments du langage lupin, pour créer un début de dialogue entre deux crêtes, sous les étoiles.  C’est l’organicité brute, le frisson, l’immersion totale, tant par ce qui est dit que par la manière dont c’est raconté.

Et puis s’insèrent, d’abord par touches discrètes, puis de plus en plus continument, des éléments de l’univers du haut. Celui du mental, de la philosophie, de la réflexion sur ces fameuses manières d’être vivant. Et les concepts fusent, aussi précis, acérés et pénétrants que les odeurs d’urine laissées par nos frères pistés.

Cette fiche de lecture ne peut pas tous les présenter. Nous nous focalisons sur deux concepts qui nous ont particulièrement touchés.

Le premier, c’est que nous sommes, loups et humains (et bien d’autres cousins) des descendants d’une espèce qui ressemblait plus ou moins à une éponge. Une éponge. Oui, les passionnés de biologie, d’histoire de l’évolution, le savent déjà. Mais avons-nous réfléchi un cran plus loin à ce que cela signifiait profondément ? Une manière d’être vivant aussi différente de nous qu’une éponge a évolué peu à peu pour donner des Homo sapiens. Ce que veut nous faire sentir Morizot, c’est la conséquence de ce constat : à chaque fois que nous éteignons une espèce, même la plus “primitive” (à nos yeux, mais en fait toutes les formes de vie qui ont survécu jusqu’à maintenant sont à exactement le même degré de perfectionnement – autre concept important, mais pas Morizien), la plus “alien” à nos yeux, peut conduire au bout de quelques centaines de millions d’années à des espèces totalement différentes, et avec une très grande variété ! Donc une espèce d’acarien qui meurt, et c’est toute un espace des possibles du vivant qui s’effondre.

Autre concept clé, encore plus au coeur de notre approche, ici, à Entre les Arbres : celui de diplomatie des interdépendances. L’idée est de sortir de la diplomatie de clan, consistant à négocier avec les autres espèces au nom de la notre (ex: avec le loup, avec les brebis, avec l’herbe qu’elles broutent) pour aller vers une diplomatie mise avant tout au service de la relation, voire de l’écosystème pour négocier avec les forces en présence qui tendent à détruire cet écosystème dans son ensemble. Nous changeons alors de niveau. Nous nous émancipons (nous = tous les vivants) uniquement en cultivant nos interdépendances. Cette idée que l’autonomie est plus à associer à l’interdépendance qu’à l’indépendance est une bombe idéologique dans un système capitaliste extractiviste qui porte dans son ADN une raison d’être consistant à libérer de tout attachement l’individu – et qui cette force même qui détruit les interdépendances en détruisant les écosystèmes.

Se reconnecter au vivant, c’est donc :

1) vivre le monde avant tout : pister des loups en ahanant, hurler avec eux la nuit, sentir le froid mordant du petit matin, se réchauffer dans son duvet, humer l’odeur du feu de bois…

2) incarner dans ses actions cette idée que plus j’ai de relations interdépendantes, moins je suis dépendant (d’une relation en particulier). J’agis alors dans le monde en me mettant d’abord au service des interdépendances, et non plus en défendant – dans l’exemple hautement emblématique des problématiques de cohabitation loups / troupeaux, qui les bergers, qui les loups, qui les brebis, qui les patous, qui les flancs érodés des montagnes.

Ce que dit Morizot est bien plus finement exposé (300 pages de philo, tout de même). Nous ne lui rendons pas grâce ici en simplifiant à l’excès.

 

Rendons-lui grâce sur ce qui compte réellement : explorons, notamment grâce à la sylvothérapie, comment toutes les manières d’être vivant qui partagent nos espaces nous invitent à trouver la notre.

 

    “Un écosystème est une symphonie du vivant dans laquelle chaque espèce joue sa partition.

    A l’Homme de deviner la sienne pour élever la musique du monde sans dissonance.”

Bernard Boisson

 

Expérimenter l'interdépendance par un atelier en forêt

Atelier constellations en forêt – 28 juin 2021 – Sourcieux-les-Mines (69)

De la dépendance à l’interdépendance : un chemin de liberté

Manières d’être vivant
Retour en haut