« Maltraiter l’eau c’est maltraiter le féminin, maltraiter le féminin c’est maltraiter l’eau »
Saga Narcissa, femme Kogi« La raison, c’est ce qui transforme toutes les forêts du monde en petits rectangles ». l’Arbre Monde, Richard Powers
Vous trouverez sans doute que cet article a une coloration plus politique que d’habitude. C’est assumé, puisque les vivants entrent en politique, de plus en plus (cf. nos dernières lettres d’info sur le sujet ainsi que l’article “L’animisme ou le renouveau du politique”).
Un énorme besoin de contrôle venu de notre peur du sauvage
Dans son ouvrage majeur La Peur de La Nature, François Terrasson nous alertait déjà, en 1988, sur toutes les formes de rejet du sauvage qui motivent notre inconscient, façonné par des siècles, voire des millénaires de croyances et de valeurs.
Nous rejetons le sauvage que ce soit sous la forme d’herbes dites mauvaises qu’on ne souhaite pas voir pousser entre nos rangées de radis bien alignés, ou sous la forme d’une extérmination déterminée d’espèces que nous avons l’outrecuidances de qualifier d’invasives (qui a dit “effet miroir”, déjà ?). Ou encore en rejetant les enfants, la maladie, la vieillesse, la pluie, la mort, les crues, la terre, la forêt primaire, les émotions, l’intuition, la nuit, les guérisseuses (qualifiées de sorcières)… et tout ce qui, de prêt ou de loin, à trait au féminin. Nous bétonnons. Nous bitumons, artificalisons, contrôlons, cartographions, alignons… tout ce qui est un peu trop vivant. A l’extérieur, dans le monde physique et biologique, et à l’intérieur, avec notre propre psyché, en lui interdisant le féminin.
Il s’agit des bases du système de domination patriarcal, qui a pour mot clé de voûte le mot “Contrôle”. Il qualifiera de sauvage tout ce qu’il ne parvient pas à contrôler. Et ce sera LA valeur cardinale, disant de quel côté est ce qui est “bien”. Le sauvage, c’est “mal”, ou à minima “primitif”. Ce qui est bien, c’est d’avoir une pelouse tondue, de maîtriser ses émotions, de ne pas avoir trop de poils, des règles bien “protégées” (traduire : pas visibles de l’extérieur), d’avoir des fleuves “tenus”, une agriculture dite “de précision”, une argumentation en trois parties, des pulsions refoulées, une médecine curative et allopathique, des rues sans feuilles mortes, une grammaire simple (non inclusive) etc… etc… etc… la liste est presque infinie et touche absolument tous les domaines.
Une polarisation croissante issue de lignes de fracture qui bougent
Ces mécanismes sont tellement ancrés dans notre inconscient, tout du moins en occident, que nous portons toutes et tous en nous cet immense besoin de contrôle, et la seule stratégie que nous connaissons pour y répondre est : dominer ce que nous ne parvenons pas à contrôler.
Ce n’est pas anodin, en ces temps où les polarités s’exacerbent jusqu’à l’explosion, qu’il y ait d’un côté #metoo et tout ce qui va avec, et de l’autre une recrudescence du masculinisme jusqu’au fascime. Qu’il y ait d’un côté une reconnaissance du vivant, et de son importance cruciale, et de l’autre l’effet “Trump” consistant à diaboliser l’écologie et celleux qui la portent, et à accélérer la destruction du vivant.
Le premier mouvement du balancier est de lâcher enfin la bride au “sauvage”, sous toutes ses formes. Traduire, au “vivant”, tout simplement. Qu’il soit en nous, ou à l’extérieur de nous. Autoriser le féminin, les émotions, l’intuition, la vulnérabilité, la douceur, le soin, l’attention, la coopération et les placer en valeurs au moins aussi importantes, si ce n’est plus, désormais, que les anciennes valeurs : la virilité, la compétition, la performance, la protection, la raison… Effet immédiat : les femmes peuvent retrouver leur juste place dans un tel monde, les hommes ont le droit (et désormais le devoir) de montrer leur vulnérabilité, et de se trouver beaux en le faisant. Et les vivants, le droit de respirer un peu, d’être vus comme des sujets, pour qui ils sont, et non plus comme des ressources ou un décor.
Mais ça ne plait pas à tout le monde. Et les premiers à être consciemment ou inconsciemment dérangés par cette évolution récente de l’humanité (pas plus de quelques décennies), ce sont les populations privilégiées de ce multiple rapport de domination qu’est le patriarcat : les hommes (binaires et cis) blancs riches hétéros valides et de plus de soixante ans. Précisément ceux qui nous gouvernent un peu à tous les postes de la société : élus, PDG des entreprises, administrateurs voire présidents des associations, etc…
Ils sont donc aux manettes pour amplifier cette polarisation (“eux” vs “nous”), là encore consciemment, pour conserver les privilèges dans un mouvement de crispation maximale, en invisibilisant l’autre toujours plus ou pire, en l’accusant et en mettant tous ces autres dans le même wok (est-ce que “wokiste” viendrait de là ?). L’autre est soit:
- une féministe qui veut leur couper les… (bah nan, elle veut juste les mêmes droits et pour ça elle est obligée de l’ouvrir un peu, ça fait drôle, hein ?),
- un méchant loup qui mange les troupeaux,
- un virus (“nous sommes en guerre” répété cinq fois en un seul discours par un président),
- une maladie qui touche les betteraves à sucre (notre pire drogue, alors le glyphosate est LA solution),
- un écoterroriste qui renverse des soupes sur des tableaux (rendez-vous compte un peu) pour alerter sur un énième désastre écologique,
- un gourou perché qui veut introduire la pleine-conscience ou des cours débutimées à l’école (mais que fait la MIVILUD ??),
- etc…
Ce qui conduit à tous les “ismes”, sexisme, classisme, homophobie, agisme, validisme, racisme, et le plus lourd, et le plus invisible de tous, l’anthropisme (ou anthropocentrisme). Le “isme” qui les accueille tous, est le néo-fascisme anti-écolo, la polarité inverse de l’écoféminisme.
Je suis concerné car j’ai des comportements sexistes, et vous ?
Là où c’est plus subtil, c’est que ce sexisme, je le porte en moi aussi, car je suis un pur produit du système (et surtout parce que je suis un homme cis-hétéro blanc et à un peu plus du SMIC, donc dans les 5% les plus riches de la Terre). Mon chemin consiste depuis quelques années à le débusquer, comme je débusquerais mon racisme (c’est exactement la même chose, ou mon classisme, ou mon homophobie, etc…), à progresser dans ma conscience de quand j’exerce une domination, et à progressivement la faire tendre vers zéro. Il m’arrive chaque jour d’avoir des comportements sexistes, sans que je n’en sois conscient. C’est un immense chemin de les voir et de les réduire.
Aussi immense que le chemin de la reconnexion au vivant. La bonne nouvelle, c’est que c’est le même !
Et vous, à quel moment avez vous un comportement sexiste ? Comment cela se manifeste-t-il ? Que dit-il de vous, plus largement, par rapport à votre peur du sauvage ? En quoi travailler sur votre sexisme (qu’il soit dirigé vers d’autres ou introjecté), peut-il vous aider à augmenter votre degré de connexion au vivant ?
Quelques références qui ont inspiré cet article
- François Terrasson – “La peur de la nature“
- Liv Strömquist – “L’origine du monde“
- Laurent Huguelit – “Mère“
- Clarissa Pinkola Estés – “Femmes qui courent avec les loups“
- Olivier Frérot – “Vers une civilisation de la vie“
- Joanna Macy et Molly Brown – “Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre“
- Mankind Project, où la thématique des “ismes” est approfondie à chaque stage (précision nécessaire : Mankind Project est identifié par la fameuse MIVILUD comme étant une secte masculiniste, et cela fut repris par de nombreux média – c’est exactement le contraire, justement puisqu’il vise à autonomiser les hommes et à déconstruire presque tous leurs rapports de domination issus du patriarcat, dont le sexisme)