Solastalgie et renouveau : des vents de changement

Le monde se métamorphose à toute vitesse. Avec l’ancien monde, s’effondrent des éléments qui nous sont chers, comme de nombreux amis vivants, emportés par notre déconnexion déstructrice. Avec le bébé, est – parfois – jetée l’eau du bain, qui, elle, n’a que trop duré : le patriarquat, la domination, la compétition, la coupure du vivant.

A la place, surgissent de nouvelles initiatives, pour que le monde de demain soit un monde de relations plus que de rationnalité, un monde au service du vivant, un monde réconcilié entre les humains entre eux, entre les humains et les autres qu’humains.

Deux exemples vous sont proposés ici.

  • D’un côté, un exemple de solastalgie, ce nouveau mot pour décrire une émotion relativement nouvelle. Il s’agit de la tristesse et de la douleur associée à la disparition d’un écosystème, d’un lieu de vie, qui comptait pour nous. Cet exemple, il se situe au coeur de notre quotidien. C’est arrivé hier au bord du Cher, à Savonnière, cela peut arriver demain en bas de chez vous. C’est de la destruction banalisée, et pire, au nom de l’écologie : il s’agissait d’abattre de vénérables peupliers et de détruire une plage au bord de la rivière pour installer une passe à poissons au lieu de simplement casser le petit barrage. Le témoignage de cette douleur et de la colère suscitée par le dévoiement de cette notion sacrée d’écologie nous est offert par un ami et partenaire proche d’Entre les Arbres: Pascal Ferren, philosophe, urbaniste, et arpenteur de sommets [pour le climat].
  • Et d’un autre côté, un nouveau souffle, puissant, porteur d’un immense espoir, nait dans les Andes et dans la forêt amazonienne, au coeur de la Bolivie : le vice-président, nouvellement élu, ouvre son mandat par un discours d’investiture adressé à tous les chefs d’Etat qui tranche dans la morosité, la banalité et la déconnexion ambiante. Un discours placé du côté de tous les vivants, qui réinvite le spirituel aux côtés du temporel, d’une nouvelle manière, non dogmatique mais hautement poétique et porteuse de sens, au moins pour les Boliviens Natifs, qui représentent 98% de la population de Bolivie. David Choquehanca, c’est son nom, prend plusieurs minutes pour convoquer tous les êtres, visibles et invisibles, au début du discours. Il continue sur cette lancée, en promouvant les valeurs de coopération, féminin, connexion au vivant, liens, partage, cultures indigènes, etc… (il nomme même les Kogi à un moment donné, la boucle est bouclée) et en souhaitant la fin du patriarquat, du colonialisme, du capitalisme et de la destruction du vivant. Un discours à 180% de ceux de ses voisins brésiliens ou etatsuniens. A l’opposé même des “nous sommes en guerre” dont on nous rabat les oreilles dans nos vieux pays occidentaux. Ce discours de 15 minutes s’écoute comme du petit lait, il soigne l’âme, il donne la patate (douce) pour des jours.

Ce sera l’antidote parfait, incontournable, à la lecture, non moins incontournable, du texte, du cri d’indignation, de Pascal Ferren. Les deux nous disent que des éléments disparaissent, pour le meilleur et pour le pire, et que du nouveau arrive, espérons que ce soit pour le meilleur, même si, d’un certain point de vue, tout est parfait !

 

(infime) remède à ma solastalgie

Pascal Ferren

Discours d'investiture

David Choquehuanca

Extrait de “(infime) remède à ma solastalgie”

Savonnières (Indre-et-Loire),

Le 9 novembre 2020,

 

Il y avait là, au bord de l’eau, entre une plage éphémère et une jolie prairie, deux énormes peupliers à qui j’avais pris l’habitude de confier quelques peines. Quand j’ai décidé de rejoindre ces paysages et de m’y installer, cette prairie aux peupliers, à l’extrémité nord du barrage de Savonnières, avait pesé dans la balance. Je pouvais me lover au creux des gigantesques troncs des anciens habitants de la rivière. A toute heure, je musardais sur ces berges, tantôt entouré des modestes plaisanciers qui se réunissent ici, tantôt profitant d’un calme plein, bercé par le val du Cher, et jouissant du paysage qui s’offre ici. Je conduisais là les amis qui voulaient bien me rendre visite. Aux côtés des racines de mes amis peupliers, j’ai trempé mes enfants dans la rivière – quand c’était possible[1].                        

Depuis très longtemps, des poissons « grands migrateurs »[2] remontent ce cours d’eau que nos aïeux ont assez massivement aménagé afin de répondre à la croissance de leurs besoins, principalement commerciaux (navigation) et accessoirement énergétiques (moulins). Dès lors, à Savonnières, les espèces vivantes dont la migration est le mode d’existence, se retrouvent face à un mur[3].   

Aujourd’hui, renseignés que nous sommes face aux enjeux écologiques, nous n’acceptons plus que ce barrage continue de faire obstacle aux mouvements vitaux de poissons en danger. Nos sociétés aux institutions fatiguées, aux solidarités fragiles, attaquées de toutes parts par les catastrophes naturelles, les proliférations biologiques inconnues, et menacées comme jamais par les bouleversements climatiques et l’effondrement de la biodiversité, se décident à « restaurer » la « continuité écologique »[4], à « rendre » de toutes petites surfaces du monde aux vivants pour lesquels elles demeurent essentielles.

 

[1] –  Depuis quelques étés, dans le monde entier, les équilibres de la terre ne semblent plus pouvoir réguler la prolifération de la vie microbienne : des virus et des bactéries – pas toujours désirables pour les humain.e.s – se développent. Celles d’ici, qu’on appelle les « cyanobactéries », nous tiennent alors prudemment sur les berges. Voir, par exemple, l’arrêté municipale du 3 août 2017, à Montrichard (250 encablures en amont de Savonnières), qui interdit – entre autres activités –  de « jouer avec des bâtons ou des galets ayant été immergés dans le Cher ».

[2] – Il s’agit des espèces amphihalines dont l’existence est rythmée par des séjours entre eau salée et eau douce, principalement ici : l’alose, la lamproie, l’anguille. Voir le « suivi des poissons grands migrateurs sur le Cher aval » réalisé en 2017 par le bureau d’études ECOGEA pour le compte de l’Etablissement public Loire. On notera d’ailleurs la superbe photo de Savonnière prise exactement depuis la petite niche entre les peupliers, page 129 du rapport. Par ailleurs, l’agence de l’eau nous propose une vidéo promotionnelle qui présente quelques enjeux et jolies vues : https://www.youtube.com/watch?v=qpQliQcwyFo&feature=emb_logo

[3] – L’étude déjà citée note une surpopulation d’anguilles en aval du barrage de Savonnières, elle précise : « il parait logique de trouver l’abondance maximale à Savonnières, car d’une part, c’est le site de pêche le plus aval et donc le plus “alimenté” par les nouveaux arrivants, et d’autre part, c’est le premier point de blocage de l’axe, avec, de fait, un effet d’accumulation » (page 115). L’étude constate un « abaissement anormal des densités » d’individus migrateurs en amont du barrage (page 119 par exemple).

[4] – La Directive Cadre sur l’Eau de 2000, reprise par le législateur français en 2006 dans la « Loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques », définit la continuité écologique comme « la libre circulation des organismes vivants et leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri, le bon déroulement du transport naturel des sédiments ainsi que le bon fonctionnement des réservoirs biologiques ». L’article L.214-17 du Code de l’environnement contraint les gestionnaires d’ouvrages empêchant cette continuité sur le Cher aval (et donc à Savonnière) à une restauration de celle-ci et ce, avant juillet 2017.

(infime) remède à ma solastalgie

Pascal Ferren

Solastalgie et renouveau : des vents de changement
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