S’inspirer des relations d’interdépendance pour développer notre autonomie

Interdépendance et autonomie, un paradoxe ? Le vivant nous apprend pourtant tout le contraire. Il est temps de s’en inspirer à nouveau pour sortir de l’impasse de la promesse de l’indépendance portée par la civilisation occidentale.

 

La promesse d’indépendance de l’ère de la rationalité

Durant les 450 dernières années, l’ère de la rationalité[0] a principalement consisté à s’affranchir de nos interdépendances. D’abord en inventant le concept de nature, qui regroupait tout ce qui ne relevait pas de l’humain, et en cherchant à dominer cette nature pour ne plus avoir à en dépendre, grâce à la science, puis surtout à ce qu’elle a enfanté, la technologie, qui est progressivement devenue durant tous ces siècles notre nouvelle divinité.

Ce phénomène s’est encore accentué à partir du XVIIIème siècle en survalorisant l’individualisme et l’égoïsme, avec cette croyance arrangeante de la « main invisible » qui fait que si je pense d’abord à mes intérêts matériels, je fais créer les conditions d’un magique ruissellement autour de moi, contribuant ainsi par conséquence au développement matériel d’autrui.

Ce faisant, le grand mythe fondateur de cette ère fut la croyance que l’autonomie, et plus largement le développement de l’individu, se faisait soit en cherchant à dominer (les non-humains, les autres humains, et même ses pulsions intérieures), soit en cherchant à s’en affranchir en séparant, soit, le plus souvent, les deux : « je te domine sans même le savoir, car j’ignore tout de ta réalité », ce que nous propose magistralement la mondialisation patriarcholoniale, où quand j’achète un produit ou un service, j’ignore à peu près tout des conditions d’exploitations des autres vivants qui ont contribué à le créer.

Après des millénaires de sentiment de dépendance subie vis-à-vis des autres formes de vie (les épidémies, les famines, les invasions barbares…), cette ère de la rationalité a poussé jusqu’à son faîte l’exploration de la contre-dépendance et de l’indépendance. La vie sous la forme d’un autre était une telle menace qu’il valait mieux la contrôler, l’éradiquer ou s’en séparer le plus possible. A partir du XIXème siècle, le capitalisme techno-industriel nous en a donné les moyens à grande échelle. Nous y sommes parvenus. A son actif, figurent plusieurs génocides, deux guerres mondiales, l’éradication programmée de 50 à 90% des espèces vivantes (selon les projections), la séparation des disciplines à l’école (sauf en Finlande, qui vient de supprimer les matières[1]), la séparation du spirituel et du temporel (avec une large suprématie du second sur le premier), l’éclatement des liens familiaux, l’explosion des divorces, et tout récemment, des mesures d’isolement, de confinement, de distanciation sociales qui viennent donner le coup de grâce au peu qui nous restait de liens sociaux. Le confinement confine d’ailleurs même à l’absolu grâce à l’envoi programmé de dizaine de milliers de mini-satellites artificiels dans un espace déjà surchargé de déchets orbitant (et s’entrechoquant en chaîne) à des vitesses astronomiques, rendant quasi impossible toute sortie de notre biosphère sans risquer de se prendre un boulon à 30 000 km/h en passant[2].

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Une promesse désormais dans une impasse

Le capitalisme techno-industriel, en voulant honorer la déesse liberté, a créé une formidable prison, durable, aliénante, mortifère et multiscalaire (de ma propre pensée jusqu’à l’espace autour de notre globe).

Au nom d’une recherche effrénée d’autonomie, nous avons collectivement poussé un modèle qui a rapidement et durablement fait fausse route en nous emmenant dans un mode de vie hors-sol, coupés de tout et de tous ; et de nous-mêmes. C’est la fameuse triple fracture développée par @Otto Scharmer en introduction de la Théorie U[3] : une fracture :

  • sociale : séparation les uns des autres,
  • écologique : coupure d’avec tous les vivants non-humains,
  • et spirituelle : perte de sens, déconnexion de soi, de ce qui compte vraiment pour nous.
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Lien entre besoins, interdépendance et relations

Comme toujours, le cycle de l’interdépendance est heureusement à l’œuvre. Si l’ère de la rationalité (l’Anthropocène, pour faire court) nous a fait cheminer de la dépendance à la contre-dépendance puis à l’indépendance, nous basculons désormais dans l’ère de la relationalité, appelé aussi le Symbiocène par Glenn Albrecht dans Les émotions de la Terre [4]. A titre collectif, notre recherche d’autonomie et plus largement d’épanouissement passe désormais par l’interdépendance comme cela a lieu à titre individuel dans notre construction d’être humain. Baptiste Morizot, dans Manières d’être vivants[5], nous rappelle à quel point autonomie et interdépendance sont liés. Si j’ai peu de relations, je dépends de bien trop peu d’autres vivants pour subvenir à mes besoins, quels qu’ils soient, et je suis vulnérable. Quelques exemples :

  • respirer : j’ai besoin des océans et des végétaux,
  • boire : j’ai besoin d’eau et des plantes phyto-épuratrices,
  • manger : les végétaux, champignons et animaux
  • me vêtir, me loger
  • partager, aimer et être aimé, être soutenu,
  • créer : les autres formes de vie sont tellement inspirantes,
  • me reproduire,
  • éduquer, apprendre,
  • m’émerveiller, prendre confiance, célébrer
  • contribuer,
  • jouer, jouir,

me connaître moi-même grâce à l’effet miroir offert par l’unicité de chaque être vivant dans lequel je me reflète[6]

… et il en existe des dizaines d’autres. Il n’y a qu’à reprendre la liste des besoins humains fondamentaux, par exemple celle que propose la CNV[7], et prendre conscience que chacun d’eux ne peut pas être satisfait sans le soutien d’un Autre, quel que soit cet autre. Dans le cas où l’un des liens que j’ai tissés avec l’un d’eux se briserait, c’est d’autant moins de stratégies possibles à ma disposition pour que je puisse subvenir à mes besoins d’être humain.

 

Inversement, plus j’ai de relations avec d’autres et plus j’en prends soin, plus j’augmente ma résilience : si par malheur un des liens disparaît, tout simplement par exemple parce que l’autre qui est au bout de ce lien vient à mourir, je peux encore m’appuyer sur d’autres formes de vie. Et ces autres peuvent encore s’appuyer sur moi. Plus je développe de relations d’interdépendance, plus je m’émancipe.

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Un changement de lunettes radical (à la racine)

C’est juste tout le contraire du Grand Récit de l’Anthropocène, et il faudra des générations et des générations pour changer de paradigme en profondeur, pour que réellement, sincèrement, chacun.e intègre comme un réflexe que le plus précieux est de développer et de soigner nos relations avec les autres vivants, et que cet acte même est au service de notre liberté, cette valeur suprêmement portée au piédestal des valeurs de l’anthropocène, mais détruite par les conditions de (sur)vie qu’il engendre. Il faudra sans doute du temps encore pour prendre conscience que cette sacro-sainte liberté n’est pas celle de pouvoir partir à Agadir pour le Weekend quand je veux, ou celle de choisir entre 128 smartphones, mais bien celle de choisir entre des centaines de stratégies possibles pour prendre soin de mes besoins fondamentaux, dans le respect des autres vivants, plus sûrs garants de ces stratégies maintenant et plus tard, pour moi, et pour les autres, ici et ailleurs.

Avec ces nouvelles lunettes, je prends peu à peu conscience que plus j’ai de relations, plus je suis libre. Plus précisément, plus je me construits les conditions de ma liberté fondamentale. Ces relations me donnent plus de degrés de liberté, elles m’ouvrent plus de possibles dans ma vie.

Ce changement de paradigme ne peut se faire que pas à pas, surtout dans une civilisation qui a été biberonnée depuis tant de siècles aux valeurs « mérite par le travail et la réussite », « indépendance », « individualisme », « compétition », « domination », « classement », « résultats plus importants que le processus », « argent comme une fin », « le vivant fonctionne comme une machine », « les humains sont à part dans le vivant », « l’autre est par défaut une menace ».

Les bénéfices de la forêt dans la réappropriation de notre interdépendance

Cette évolution progressive peut être facilitée par la forêt. S’immerger dans un écosystème complexe où la quasi-totalité des relations sont des relations d’interdépendance aide à se mettre au diapason de cette manière d’interagir avec les « autres ». Sentir l’air entrer dans ses narines en étant conscient que l’oxygène qu’il contient était préalablement contenu dans les feuilles autour de nous, sentir cet oxygène s’incorporer dans chacune de nos cellules pour devenir nous (!!), et sentir l’air ressortir à l’expire, chargé de briques de CO2 qui vont servir à fabriquer un peu plus de feuilles dans les heures qui vont suivre… Respirer, voilà un geste banal, simple, permanent ! Pourtant, le faire en forêt, en conscience, nous rappelle à notre condition d’être vivant, en interdépendance immédiate et de fait avec des dizaines d’autres êtres, par le souffle.

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Les apports de la sylvothérapie dans le développement de nos interdépendances

Non seulement la forêt peut nous faciliter cette réappropriation du caractère bénéfique, magique et simple de notre interdépendance avec de nombreux autres vivants, mais la sylvothérapie permet d’aller un cran plus loin par les processus qu’elle propose : interagir sensiblement – et en conscience – avec les autres êtres de la forêt, humains et non-humains, permet de développer son intelligence émotionnelle, elle-même au service de notre intelligence relationnelle, pour prendre toujours un peu plus soin de nos relations, afin de cultiver nos interdépendances. Intelligence émotionnelle et intelligence relationnelle nous aident toutes deux à sortir du cycle de la dépendance, de l’indépendance et de la contre-dépendance dans nos relations. Ce cycle concerne principalement nos relations humaines et aussi nos relations économiques avec le monde, portées par une économie extractiviste qui considère les autres vivants comme des ressources à prélever gratuitement et sans limite (à commencer par l’élevage intensif).

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Sortir de ce cycle en allant vers une posture d’interdépendance assumée est la porte d’entrée de la nouvelle ère, celle de la relationalité, le Symbiocène.

Et vous, comment vivez-vous vos relations ? Lesquelles sont encore des relations de dépendance (nous en avons tou.te.s) ? Où exprimez-vous des relations de contre-dépendance ? Comment vivez-vous l’indépendance dans vos relations ? Que vous apporte la posture d’interdépendance dans vos relations les plus cruciales ? Quelles relations vous donnent le plus grand sentiment d’autonomie ?

Pour savoir comment la sylvothérapie, et à travers elle, la forêt, nous aident à développer l’intelligence émotionnelle et relationnelle, et à travers elle, à cultiver nos interdépendances, vous pouvez :

Si vous voulez le faire vivre à vos équipes en interne, ou si vous voulez introduire ces notions clés dans vos politiques territoriales, vous pouvez consulter respectivement l’offre d’Entre les Arbres pour les organisations, et la page présentant la facilitation territoriale.

[0] Olivier Frérot : Vers une civilisation de la vie, Chronique Sociale, 2019

[1] https://lareleveetlapeste.fr/finlande-veut-supprimer-matieres-scolaires-veritable-revolution/

[2] https://cnes.fr/fr/pollution-spatiale-letat-durgence

[3] Otto Scharmer : Théorie U, l’essentiel, 2018, Yves Michel

[4] Glenn Albrecht : Les émotions de la Terre, des nouveaux mots pour un nouveau monde, Les liens qui libèrent (eh oui justement !) , 2020

[5] Baptiste Morizot : Manières d’être vivant, Acte Sud, 2020

[6] L’effet miroir est un des socles essentiels d’Entre les Arbres.

[7] https://cnvfrance.fr/actualites/infos-diverses-2/

Vivre l'interdépendance grâce à une journée sur le sujet

Atelier “Explorer les [in][ter]dépendances de nos relations par les constellations forestières

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