L’économie symbiotique

Isabelle Delannoy

L’économie symbiotique

Régénérer la planète, l’économie et la société

@Actes Sud

 Il s’agit d’un ouvrage important : il compile, à date de parution (2016), la somme des travaux de recherche d’Isabelle Delannoy sur ce qu’elle a appelé l’économie symbiotique, c’est à dire une économie régénérative, au service du vivant et de la société, et non plus extractiviste et destructrice (amenant à un effondrement vers lequel nous marchons actuellement à marche accélérée).

Qu’est-ce que l’économie symbiotique ?

Cet ouvrage nous décrit en détails la promesse d’un monde où les trois sphères du vivant, du social et de la technologie évolueraient en symbiose, c’est à dire où la croissance de l’une favoriserait aussi celle des deux autres. Il semblerait que ce soit plus qu’une promesse, plutôt la démonstration par A+B+C de sa possibilité et de sa pertinence. En effet, si les six principes fondamentaux de toute relation de symbiose sont également appliqués à toutes les échelles de nos écosystèmes économiques, alors ce serait vraiment possible. Ces six principes sont :

  1. Une coopération libre et directe entre les entités
  2. Des territoires de flux communs accessibles à tous
  3. Une diversité d’acteurs et de ressources respectant l’intégrité de chacun
  4. Priorité à l’utilisation des services naturellement rendus par les écosystèmes
  5. Recherche de l’efficience maximale de l’utilisation des ressources
  6. Recherche de la compatibilité des activités humaines avec les grands équilibres de la biosphère.

Elle nous dit aussi qu’une croissance infinie dans un monde fini est possible car 1) il est infini en énergie reçue (nous recevons sans cesse de l’énergie solaire en immense quantité) et 2) il est possible d’avoir une croissance infinie, non pas de matière, mais d’information, ce que crée l’évolution du vivant depuis l’apparition de la vie sur terre, qui amène toujours plus d’information dans la matière grâce à l’énergie captée principalement du soleil. Et ce qui fait l’évolution naturelle de notre astre, Gaïa, c’est le passage de la matière non informée à la matière informée. Une bien belle idée en soi !

La nouvelle économie ainsi proposée dans cet ouvrage à partir de ces principes est illustrée à chaque fois par des changements déjà à l’oeuvre. Quelques exemples: la permaculture, évidemment, l’épuration par les écosystèmes de plantes phytoépuratrices, la construction à partir de matériaux biosourcés, l’ingénierie écologique, l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité, les tiers lieux, les organisations libérées, la production interopérable, open source et décentralisée, l’impression 3D, etc… C’est ce que d’autres spécialistes appellent l’économie 4.0.

Peu importent les termes, cette nouvelle économie a pour principale promesse d’être compatible avec le vivant – sans pour autant nuire à nos croissants besoins de confort, de sécurité et de toujours plus. En d’autres termes, elle nous permettrait, si nous la mettions en oeuvre du jour au lendemain, d’éviter de justesse les catastrophes écologiques qui ont déjà commencé et qui sont causées par l’Anthropocène : déséquilibres climatiques, effondrement de la biodiversité, pollution généralisée (de l’air, de l’eau, des sols, de l’alimentation, de la pensée, de l’espace, des cellules vivantes, de l’ADN…) TOUT EN EVITANT DE JUSTESSE de nous remettre en cause dans notre manière de considérer notre façon d’être collectivement au monde en tant que sapiens. Cet article d’Antoine Baron parle bien mieux que nous ici de ce terrible piège de la Transition écologique (vaste terme qui pourrait englober l’économie symbiotique)

L’économie symbiotique nous permettrait en quelque sorte de sortir de l’ornière sans remettre en cause, profondément, les causes qui ont conduit à ces catastrophes. Dans l’économie symbiotique, il y a encore des flux financiers, il y a encore des investisseurs, il y a encore la notion de services rendus par les écosystèmes. Et il y a encore la notion de nature.

L’économie symbiotique un passage nécessaire mais non suffisant pour sortir définitivement de l’Anthropocène

La sortie de l’Anthropocène nécessite de sortir totalement du capitalisme. D’ailleurs, certains géologues (ce sont les géologues qui ont autorité à nommer les ères géologiques) préfèrent parler de Capitalocène plutôt que d’Anthropocène, car la cause des modifications majeures des cycles biogéochimiques de notre astre n’est pas l’humain mais la manière dont il a choisi de produire et de consommer la matière et l’énergie de la Terre.

La sortie de l’Anthropocène passe par une profonde reconnexion au vivant. De ce que nous en avons compris à la lecture de ce livre, l’économie symbiotique ne le permet pas assez.

Ainsi, nous continuerons à distinguer ontologiquement économie symbiotique et Symbiocène. Dans l’un, on parle de services rendus par la nature, dans l’autre, on ne parle plus de nature, et on ne considère plus les écosystèmes et les vivants comme des ressources, qui rendent des services aux humains, mais comme des êtres qui vivent pour et par eux-mêmes, en interdépendance avec tous les autres (dont nous). Ce changement ontologique, décrit par Aurélien Barrau [1], va nécessiter d’aller encore bien plus loin que les énormes changements que l’économie symbiotique vont déjà devoir amener. Il va être nécessaire de changer notre rapport au monde, à la vie, à nous-mêmes. Le Symbiocène n’aura pas lieu sans un profond changement spirituel, alors que l’économie symbiotique peut se mettre en place sans cette révolution intérieure, individuelle et collective à la fois.

Nous saluons le formidable travail d’Isabelle Delannoy, travail qu’elle a d’ailleurs profondément développé par la suite [2], et en même temps, nous ressentons le besoin de mettre en garde les lecteurices : voyez-le comme UN pas vers le Symbiocène, mais ne considérez pas que cela suffira.

Continuez à aller en forêt pour vous y connecter en profondeur avec le Shinrin-Yoku.

Continuez à développer votre nouvelle manière d’interagir avec les autres vivants, continuez à les voir (au sens “je te vois” d’Avatar),

Continuez à réapprendre à les inclure dans vos décisions, personnelles et collectives.

Continuez à réapprendre à communiquer avec eux de manière intuitive.

Continuez à déconstruire le mythe de la technologie qui va nous sauver, et derrière lui, celui de la finance mondialisée qui tient les manettes.

Continuez à réduire votre impact, réduire, réduire, réduire, jusqu’à retrouver une vie simple, connectée, où le confort et la sécurité à outrance auront cédé le pas à d’autres besoins, et surtout à d’autres valeurs, plus compatibles avec le vivant. En vous et autour de vous.

Continuez, lorsque vous devez aménager votre jardin, à vous demander si réellement, cela vaut le coup de tailler telle branche ou de couper tel arbre.

Conclusion : économie symbiotique ne veut pas dire Symbiocène

Pour résumer, et pour celleux qui se sont intéressé.e.s aux travaux du Lichen (Laboratoire des Interdépendances Concernant les Humains Et les Non-humains), le Symbiocène décrit par Glenn Albrecht dans les Emotions de la Terre, c’est l’économie symbiotique – pour le substrat (la matière, l’organisation sociale, l’énergie) et c’est le Lichen, et tout ce qui tourne autour (écologie profonde, animisme…) –  pour la révolution spirituelle que cela implique.

Pour résumer encore, la révolution de l’économie symbiotique sans la révolution spirituelle, c’est la garantie de rester dans l’Anthropocène. Et vice et versa, évidemment. Néanmoins, si la seconde précède la première, il y a plus de chances que l’économie symbiotique se mette rapidement en place (rapidement ET avec justesse).

[1] : Notamment ici dans cette vidéo d’une intervention devant les ingénieurs du Shift Project, où il démonte l’approche technocentrée de Jancovici : https://www.youtube.com/watch?v=VajcUf7xRTQ

[2] : Avec l’Entreprise Symbiotique : https://www.linkedin.com/in/isabelle-delannoy-8337225/

L'animisme au secours de la politique

Une réflexion plus poussée sur comment l’animisme peut venir au secours de la politique, et à travers elle, de la survie de notre espèce, tout simplement !

L’économie symbiotique
Retour en haut